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UNE THÉORIE GÉNÉRALE DE L'EMPLOI, DE LA RENTE ET DE LA THÉSAURISATION

German Bernacer, économiste espagnol (1883-1965)

Thèse - Doctorat ès-Sciences Economiques - Henri Savall - septembre 1973

 
TRADUCTION DE L'ARTICLE - Revista Nacional de economia Barcelone 1922
CONCEPT DE DISPONIBILITÉS
PHYSIOLOGIE DES DISPONIBILITÉS
DISPONIBILITÉS ET PRODUCTION
CRÉATION DES DISPONIBILITÉS
SOLUTIONS DU PROBLÈME SOCIAL
1925.’INTÉRÊT DU CAPITAL – PROBLÈME DE SES ORIGINES
1945 LA THÉORIE FONCTIONNELLE DE LA MONNAIE
1955 UNE ÉCONOMIE LIBRE SANS CRISES ET SANS CHOMAGE

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    LE CONCEPT DE DISPONIBILITES
 
  • Concept général

On ne peut disposer, dans l'acception juridique du terme, que de ce sur quoi on a une propriété totale ; et il est évident que tout bien économique dont on jouit en pleine et en libre propriété est une disponibilité, dans ce sens.

Son propriétaire peut l'affecter, par elle-même, ou virtuellement au moyen de son équivalent sur le marché, à satisfaire ses besoins ou ceux d'autrui suivant sa volonté, à réaliser ses desseins, en somme, dans le cadre des possibilités économiques que contient sa valeur. Toute propriété de notre patrimoine ayant une valeur, toute chose appréciée des hommes et qu'il nous est possible de transférer, nous permet d'obtenir en échange les objets, les services, les avantages que les autres sujets sont en mesure de nous fournir par leur travail.

Cependant, toutes les propriétés ne sont pas indifférentes, de ce point de vue ; il ne nous sera pas aussi facile de trouver quelqu'un qui nous donne ce que nous pouvons souhaiter en échange d'un diamant ou d'une maison, qu'en échange de blé ou de laine. Il est notoire que certaines marchandises trouvent plus facilement un débouché que d'autres, car elles répondent à des besoins plus habituels et plus courants.

 
  • La première restriction au concept général

            Parmi les marchandises qui ont un débouché facile, il n'y en a aucune qui soit supérieure à la monnaie. La monnaie, et c'est là sa qualité caractéristique et essentielle, est ce que chacun est le plus disposé à accepter en échange de ses marchandises ou d'objets de valeur. Qu'il s’agisse d'une matière utile ou d'un simple signe fiduciaire qui en tienne lieu, c'est une marchandise spécifique qui, n'étant pas en principe différente des autres, de la même espèce - métal ou titre de crédit remboursable - a acquis une très singulière propriété, en vertu de l'usage suivant lequel chacun l'accepte, avec la plus grande garantie de ce que le marché lui fournira, au moment où il le désirera, la juste équivalence de ce qu'il a aliéné en échange de ce signe. Cette qualité est consubstantielle avec celle qui consiste à constituer la disponibilité par excellence, au sens économique.

            Si l'objet dont nous voudrions disposer, pour réaliser nos fins économiques, n'est pas de la monnaie, mais une propriété, un bijou, une marchandise ou un titre de la dette publique, il nous faut l'évaluer en monnaie, rechercher la personne qui a besoin de cet objet particulier, en discuter le prix et, enfin, l'échanger contre de l'argent, toutes choses qui ne sont pas très faciles à réaliser. De là le fait que parmi tout ce que chacun possède, seule la monnaie est généralement considérée comme disponibilité ; à l'exception de tous les autres objets, quelle que soit leur valeur, quel que soit leur prix, voire même si elles ont une valeur supérieure à celle de la monnaie elle-même.

            Un homme d'affaire, sans avoir moins de capital qu'auparavant, peut se trouver dans une situation difficile, voire acculé à la banqueroute, si du fait de la paralysie de ses ventes, ses disponibilités ne se reforment pas, ceci dans toute la mesure où la monnaie représente, comme toujours, le symbole de toute richesse, bien qu'en vérité, elle n'ait pas davantage, mais, plutôt moins, de valeur qu'un autre objet.

            La monnaie, quelle que soit la forme qu'elle revête, est essentiellement un signe de crédit sur la société, le symbole et la mesure du droit de revendiquer sur le patrimoine social les biens que le marché considère équivalents à cette somme de monnaie. En effet, la possession de cet argent est en soi, la preuve effective, que l'on a apporté, au fonds de biens sociaux, une valeur ou un effort qui a été évalué et rétribué par cette somme, son propriétaire peut donc, lorsqu'il le désire, réclamer sa juste récompense sous forme de son équivalent en marchandise.

            Apporter des marchandises sur le marché, c'est augmenter l'offre. Apporter de la monnaie, c'est accroître la demande ; en ce sens, la monnaie et les autres marchandises sont des termes antinomiques. Ce que l'on accepte comme monnaie acquiert, en vertu de ce principe, le pouvoir d’inciter, à travers le marché, les forces économiques à produire ce que son propriétaire demande. Celui qui possède cet objet, dans la mesure où il le possède, dirige l’application des énergies productives ; si ces désirs et ces desseins se modifient, le changement se traduit, par la suite, en un déplacement des activités de production, tout comme les variations d'un courant électrique proche modifient l'orientation d'une aiguille aimantée.

 
  • La deuxième restriction au concept général

            Mais peut-on considérer toute la monnaie au même titre et dans la même mesure comme une disponibilité ?

            Considérons le capital monétaire possédé par un individu. La portion requise pour faire face aux besoins péremptoires, en attendant de nouveaux revenus, est une somme dont on ne peut pas, à juste titre, disposer à d'autres fins. Même si l'occasion se présente de lui donner une autre affectation, ou même de l'investir dans une affaire avantageuse, la prudence la plus élémentaire empêche que l'on en face usage, car il n'y a pour personne d'affaire plus importante que celle de sa propre subsistance. Certains autres besoins peuvent facilement attendre, et une très légère instigation nous induit à différer leur satisfaction ou à la compenser par d'autres satisfactions moins copieuses ; mais toujours est-il que, même pour les fins les plus superflues, nous avons toujours quelque chose à dépenser.

            Le degré maximum de disponibilité est représenté par la monnaie dont nous sommes disposés à renoncer à l'emploi, car nous espérons que l'on tirera, à l'avenir, de son usage ou de sa possession, un profit ou des avantages qui ne seraient pas suffisamment compensés par leur placement immédiat actuel. Cette monnaie, que rien pour l'instant n'incite à employer, qu'aucun besoin impérieux n'invite à dépenser, constitue ce qui est disponible avec le maximum de liberté, en vue d'investissements à n'importe quel instant dans une forme de placement qui nous paraît opportune ou dans une affaire qui nous apparaît comme lucrative.

            La vraie disponibilité, dans l'acception qui lui donnent les financiers, est en principe de l'argent soustrait à la dépense courante, argent dont on n'a pas besoin pour faire face aux engagements inéluctables, et qui reste, par conséquent, en réserve, apte à n'importe quel emploi que l'on pourra lui donner. Il n'existe pas une délimitation précise entre l'argent absolument disponible et le reste ; d'un côté, il y a ce qu'il serait totalement superflu de dépenser, et de l'autre ce qui est strictement indispensable. Il y a toujours une zone intermédiaire de possibilités que l'on est plus ou moins enclin à destiner à la consommation et qui, selon les circonstances, seront consommées ou au contraire réservées, épargnées.

 
  • La troisième restriction au concept général

Il faut encore établir une distinction, à l’intérieur de la monnaie que l'on ne pense pas consacrer à la dépense courante et qui, de ce point de vue, peut être considérée comme une disponibilité.

            Les espèces que possèdent les commerçants, les industriels et les spéculateurs, pour faire face aux besoins de leurs affaires, sont sans aucun doute une disponibilité au sens générique. Cependant, si cette  disponibilité est nécessaire à la marche normale de l'affaire - toute affaire exige une certaine somme de disponibilités pour être menée à bien - son caractère de disponibilité est en pratique très relatif, car son absence entrainerait de réelles difficultés pour l'homme d'affaires. Au contraire, l’épargne fraîchement accumulée, les stocks de monnaie du commerçant qui dépassent les besoins de l'accomplissement normal de ses engagements et qu'il peut aussi bien consacrer à la réalisation d'une dépense extraordinaire qu'à l'agrandissement de son affaire ou à une autre entreprise, ou enfin l'appliquer à quelques tâches lucratives extra-commerciales, sont une disponibilité au sens plein du terme, à tous égards.

 
  • Le degré de disponibilité monétaire

En résumé, il peut y avoir trois degrés de disponibilité monétaire.

Premièrement : les rétributions productives qui forment le revenu normal des consommateurs, qu'il soit directement ou non producteur, et sont généralement destinées à faire face à leurs besoins habituels (disponibilité minimum).

Deuxièmement : Les sommes d'argent aux mains des industriels, des commerçants, des banquiers et des spéculateurs, qui forment le fonds monétaire nécessaire à la marche de leurs affaires ; elles ne sauraient être diminuées, sans provoquer de grands préjudices pour le développement de telles affaires (disponibilité relative ou moyenne).

Troisièmement : Le surplus obtenu entre les derniers gains et les revenus perçus, et les dépenses personnelles, épargne de formation récente, que des possesseurs n'ont pas l'intention de consacrer à la dépense courante, et pour laquelle ils n'ont pas d'emploi utile ou lucratif à leur portée (disponibilité absolue ou maximum).

Pour les finalités de notre recherche, il est bon de distinguer particulièrement les deux dernières formes de disponibilité et la première. Lorsque nous emploierons simplement le terme disponibilités, nous entendrons par excellence, les disponibilités du deuxième et troisième cas, alors que nous désignerons les premières par le terme de revenus.

Nous désignerons par le terme de "fonds en disponibilité ou avoir disponible", l'ensemble des disponibilités existantes ou masse sociale des disponibilités (1). Mais en parlant par exemple du fonds social disponible à un moment donné, nous inclurons, outre les véritables disponibilités, les résidus des revenus antérieurement perçus, qui subsistent à cet instant, bien qu’ils soient destinés à la consommation, car objectivement, il serait difficile de distinguer ces résidus des disponibilités réelles ; or il me paraît indispensable que toutes les grandeurs que l'on fera intervenir dans les raisonnements économiques puissent être déterminées d'un point de vue objectif.


(1) J'utilise le terme "d'avoir", pour désigner ce que, vulgairement on appelle capital d'un individu, et qui n'est pas un capital au sens scientifique du terme. Les économistes utilisent le mot capital pour désigner une partie du patrimoine destinée à aider la production, de telle sorte que de nombreuses choses, la plupart peut-être, que l'on désigne communément par capital d'un individu, ne constituent pas un capital dans l'acception économique.

Si nous prenions en revanche la définition d'Adam SMITH : "Ce qui rapporte un revenu à son propriétaire ou ce dont on espère qu'il en rapportera", le concept engloberait la majorité des biens que nous avons exclus dans l'autre définition, mais la monnaie en général, en serait exclue, car elle ne rapporte aucun revenu et l'on ne peut pas espérer, non plus, qu'il en rapporte un, pour autant qu'il n'est pas échangé contre d'autres biens.

Afin d'établir une distinction claire entre ces deux concepts, j'avais proposé (Société et Bonheur - Livre 2, Chapitre 6), qu'en réservant le nom de "capital" à la richesse employée à des fins de reproduction, on utilise le mot "avoir" pour désigner le patrimoine total d'un individu, bien qu'il consiste en biens n'ayant pas une valeur intrinsèque. Par ailleurs, l'usage du mot capital, dans un sens ambigü, n'est pas rare dans les ouvrages d'économie, et constitue l'une des causes importantes de la confusion qui règne à propos de ce facteur de la production.